Ambrose Bierce (1842-1914 ?)

ABORIGENES, n.m.

Personnes de peu de valeur encombrant le sol des contrées nouvellement découvertes. Ils cessent rapidement d’encombrer ; ils fertilisent.

ADMIRATION, n.f.

Notre reconnaissance polie de la ressemblance d’un tiers à nous-même.

APHORISME, n.m.

Sagesse prédigérée.

BAROMETRE, n.m.

Ingénieux instrument qui indique le temps qu’il fait.

BEAUTE, n.f.

Pouvoir par lequel une femme envoûte un amant et terrifie un mari.

CANON, n.m.

Instrument utilisé pour la rectification des frontières.

CHAT, n.m.

Doux et indestructible automate fourni par la nature pour recevoir des coups de pieds quand le ménage tourne mal.

CHIROMANCIE, n.f.

La 947^e méthode pour obtenir de l’argent par des moyens trompeurs. Elle consiste à «lire la personnalité » dans les lignes de la main. La méthode n’est pas entièrement fausse ; la personnalité peut réellement être lue très précisément de cette façon, car les lignes de chaque main offerte portent clairement le mot « pigeon ». La tromperie consiste à ne pas le lire à voix haute.

CHRETIEN, n.m.

Celui qui croit que le Nouveau Testament est un livre inspiré par Dieu admirablement adapté aux besoins spirituels de son voisin. Celui qui suit les enseignements du Christ aussi longtemps qu’ils ne sont pas incompatibles avec une vie de péché.

CONFORT, n.m.

Etat d’esprit produit par la contemplation de l’inconfort d’un voisin.

DIPLOMATIE, n.m.

Art patriotique de mentir pour son pays.

DISCUSSION, n.f.

Méthode pour conforter les autres dans leurs erreurs.

EGOÏSTE, n.

Personne de mauvais goût qui s’intéresse plus à elle-même qu’à moi.

ELECTEUR, n.m.

Personne qui jouit du privilège sacré de voter pour un homme qu’un autre a choisi.

EPITAPHE, n.f.

Inscription sur une tombe montrant que les vertus acquises par la mort ont un effet rétroactif.

ERMITE, n.m.

Personne dont les vices et les bêtises ne sont pas sociables.

ERUDITION, n.f.

Poussière tombant d’un livre secoué dans un crâne vide.

EUCHARISTIE, n.f.

Rite sacré de la secte des Théophages.

EXCENTRICITE, n.f.

Méthode pour se distinguer si avantageuse que les imbéciles l’emploient pour souligner leur nullité.

FEMME, n.f.

Animal vivant ordinairement au voisinage de l’Homme et dotée d’une aptitude rudimentaire à la domestication.

FIDÉLITÉ, n.f.

Curieuse vertu de ceux qui vont être trahis.

HOMEOPATHE, n.m.

L’humoriste de la profession médicale.

INCOMPATIBILITÉ, n.f.

Dans le mariage, similarité de goûts, particulièrement le goût pour la domination.

KLEPTOMANE, n.m.

Riche voleur.

LAIDEUR, n.f.

Un présent des dieux à certaines femmes, conférant la vertu sans humilité.

LOGIQUE, n.f.

Art de penser et de raisonner dans le strict respect des limitations et inaptitudes de l’incompréhension humaine.

LONGEVITE, n.f.

Prolongation inhabituelle de la peur de mourir.

MOUCHOIR, n.m.

Petit carré de soie ou de coton utilisé à de sales besognes diverses pour le visage et particulièrement précieux aux enterrements pour dissimuler le manque de larmes.

NIHILISTE, n.

Russe qui nie l’existence de tout sauf de Tolstoï. Le chef du mouvement est Tolstoï.

ORDONNANCE, n.f.

Pari du médecin dans ce qui prolongera au mieux la situation au moindre mal pour le patient.

PANTOMIME, n.f.

Pièce où l’histoire est contée sans faute de français. La moins désagréable forme d’action dramatique.

PATIENCE, n.f.

Forme mineure du désespoir, déguisée en vertu.

PEINTURE, n.f.

Art de protéger les surfaces planes des intempéries et de les exposer à la critique.

PERIPATETISME, n.m.

Déambulation. Référence à la philosophie d’Aristote, qui en l’exposant se déplaçait d’un endroit à l’autre afin d’éviter les objections de ses élèves. Précaution inutile : ils n’en savaient pas plus que lui sur le sujet.

PERSEVERANCE, n.f.

Vertu mineure par laquelle la médiocrité parvient à un succès sans gloire.

PHILOSOPHIE, n.f.

Itinéraire formé de nombreuses routes menant de nulle part à rien.

PIANO, n.m.

Ustensile de salon pour dompter le visiteur impénitent. Il fonctionne en frappant ses touches et l’esprit du public.

PIETE, n.f.

Vénération pour l’Etre Suprême, basée sur sa supposée ressemblance avec l’homme.

PLATONIQUE, adj.

Référence à la philosophie de Socrate. Amour platonique est une expression  stupide désignant l’affection entre une impotence et une frigidité.

POCHE, n.f.

Berceau du mobile et tombeau de la conscience. Cet organe manque chez la femme ; aussi agit-elle sans motif, et sa conscience, impossible à enterrer, demeure toujours vivante, confessant les péchés des autres.

POLITESSE, n.f.

L’hypocrisie la plus acceptable.

POLITIQUE, n.f.

Lutte d’intérêts déguisée en bataille de principes. La conduite des affaires publiques pour des intérêts privés.

PRESENT, n.m.

Cette partie d’éternité séparant le monde de la déception du royaume de l’espoir.

RELIGION, n.f.

Fille de l’Espoir et de la Peur, expliquant à l’Ignorance la nature de l’Inconnaissable.

RELIQUAIRE, n.m.

Réceptacle pour des objets tels que des morceaux de la vraie croix, des côtes de saints, les oreilles de l’âne de Balaam, les poumons du coq qui appela Pierre à se  repentir, etc. Les reliquaires sont ordinairement métalliques et munis d’une serrure pour empêcher le contenu de sortir et d’accomplir des miracles hors de saison. Une plume de l’aile de l’Ange de l’Annonciation s’échappa un jour pendant un sermon à Saint Pierre, et chatouilla tant le nez de l’assistance que tous s’éveillèrent et éternuèrent à grand fracas trois fois chacun. Il est rapporté dans le "Gesta Sanctorum" qu’un sacristain dans la cathédrale de Cantorbéry surprit la tête de Saint Denis dans la bibliothèque. Réprimandée par ce sévère gardien, elle expliqua qu’elle cherchait un corps de doctrine. Cette légèreté inconvenante provoqua une si grande colère dans le diocèse que l’offenseuse fut publiquement excommuniée, jetée dans la Stour et remplacée par une autre tête de Saint Denis apportée de Rome.

RESOLU, adj.

Obstiné dans une action que nous approuvons.

S’EXCUSER, v.

Bâtir les fondations pour une future offense.

SANS-LOGIS, n. m. 

Celui qui a payé tous ses impôts fonciers.

SAVOIR, n.m.

Genre d’ignorance qui distingue les studieux.

SEUL, adj.

En mauvaise compagnie.

SURPASSER, v.t.

Se faire un ennemi.

TABLEAU, n.m.

Représentation en deux dimensions de quelque chose d’ennuyeux en trois.

VIE, n.f.

Saumure spirituelle préservant le corps de la pourriture.

VIOLON, n.m.

Instrument pour chatouiller les oreilles humaines par la friction d’une queue de cheval sur les entrailles d’un chat.

 

Traduction: Philippe Renève. Traduttore, traditore.